La Commune a à cœur de maintenir l’orgue en bon état de fonctionnement. C’est ainsi que fin 2013, l’instrument a été entièrement vérifié et accordé.
Mais savez-vous que « notre » orgue est la création de deux bricoleurs de génie ? Et qu’à la fin des années cinquante, en précurseurs, ils pratiquaient déjà la récupération et la valorisation d’objets autrement voués à l’élimination ?
L’aventure de la construction de notre orgue a été relatée avec beaucoup de verve dans l’article suivant, paru en septembre 2011 dans le numéro 3 de la revue spécialisée L’Orgue.
Il était une fois … Oh ! il n’y a pas très longtemps, tout juste un demi-siècle ! Existait (et existe encore !) une ravissante église dédiée à Saint Jean l’Evangéliste, ainsi que deux amis de vieille date, encore bien jeunes en ce temps-là : Jean, le pasteur-organiste, et son ami Pierre, le chimiste-enseignant, bricoleur invétéré ; le soussigné aujourd’hui !
Le 11 septembre 1960, la paroisse des Combremonts –Petit et –Grand, de Champtauroz et de Treytorrens est en fête ; elle inaugure l’orgue nouvellement installé dans l’église gothique de Treytorrens, la plus petite mais certainement la plus jolie de la paroisse. André Luy, le talentueux organiste de la cathédrale de Lausanne, hélas trop tôt disparu, est au clavier, avec le concours de la chorale paroissiale. Cependant, ce jour-là, ce n’est pas un orgue ordinaire qui entonne le premier cantique ! Pourtant, n’est-il pas constitué d’un soufflet, d’un clavier et de tuyaux comme tous les orgues dignes de ce nom ? Si ! … mais découvrez plutôt son histoire étonnante.
Automne 1954. La grande paroisse des Hauts-de-Broye accueille son jeune pasteur, Jean Stoos, tout juste rentré d’un stage parmi les huguenots de Haute-Loire. Or Jean n’est pas seulement pasteur mais encore organiste, passionné par le roi des instruments et porteur d’un diplôme du Conservatoire de Lausanne. Il a d’ailleurs chez lui un orgue, déniché quelques années plus tôt (1948) à Villars-sous-Mont (Gruyères).
En ce milieu du 20e siècle, rares sont encore les églises de nos campagnes à posséder un orgue. Presque partout, l’harmonium, la bonne vieille « pompe à cantiques », accompagne encore le chant des fidèles. Toutefois, les choses évoluent et plusieurs instruments neufs voient le jour dans ces années d’après-guerre.
Très vite, Jean se prend d’affection pour la minuscule église de Treytorrens, sa préférée parmi les églises de sa paroisse. Il faut dire qu’elle ne manque pas de charme et d’intérêt. Elle est en fait la chapelle du château voisin et son châtelain n’a pas hésité, à l’époque (au milieu du 15e siècle), à en confier la construction à un célèbre architecte, déjà connu à Estavayer et à Romont. Elle a supporté sans trop de mal l’arrivée des Bernois et de la Réforme. Tout au plus a-t-elle perdu son joli retable (que l’on peut admirer aujourd’hui dans la chapelle fribourgeoise de Franex).
Dans son église, Jean imagine déjà, perché là-haut sur l’étroite tribune, un orgue, un vrai, avec des tuyaux, logés dans un beau buffet en bois naturel. Mais il faut garder les pieds sur terre : le village est petit et la plupart des paysans ne sont guère fortunés. Alors que faire ?
Et si l’on cherchait un petit orgue d’occasion ? Si possible un instrument peu ou pas utilisé, peut-être abandonné, faute d’entretien ? Comme autrefois celui de Villars-sous-Mont, alors Bonnefontaine (sur la route de Planfayon) pourrait bien répondre à notre attente !
Pittoresque à souhait, bricolé à partir de pièces plus ou moins anciennes, le souffle court, ce petit orgue ferait bien notre affaire …! Nous n’avons plus qu’à contacter Monsieur le curé de cette église ! Mais Monsieur le curé n’est pas d’accord. Un « non » catégorique fut sa seule réponse (ce qui n’empêcha pas, quelques années plus tard, la destruction presque totale du pittoresque petit instrument).
Alors Jean, revenu de sa déception, se tourne vers Pierre, avec son air inimitable : Eh bien ! Tu vas m’en faire un!
Construire un orgue, en entier, à partir de rien, n’est pas une mince affaire, surtout pour un amateur dans cette activité très spéciale qu’est la facture d’orgue. Pierre a bien quelques notions et quelque expérience, mais : est-ce suffisant ? D’ailleurs, en ce temps-là, la plupart des facteurs d’orgues établis n’ont guère de sympathie pour ces bricoleurs qui pourraient devenir, sait-on jamais, d’éventuels concurrents !?!
Avant toute chose, d’importantes questions sont à résoudre :
Etablir un avant-projet, tenant compte de la place disponible. S’assurer que la galerie supportera le poids de l’instrument (entre 500 kg et une tonne), et bien sûr des possibilités financières de la paroisse.
Obtenir l’aval des autorités communales, paroissiales, et celui des monuments historiques (ce ne sera pas le plus facile !!).
Choisir le type d’instrument, le nombre de jeux, l’architecture du buffet…
Que pouvons-nous faire nous-mêmes ? Obtenir l’aide d’un facteur d’orgues compréhensif ?
Pierre se mit au travail. Il s’agit tout d’abord de dessiner les plans de détails, les dimensions de chacun des tuyaux. Il y en a 54 par jeu, et l’orgue comportera 10 jeux pour le clavier manuel et 1 pour la Pédale (qui possède 30 notes). En tout donc 570 tuyaux ; le plus gros (en bois) de près de 2,50 m de long, le plus petit (en métal) de quelques centimètres seulement.
Viennent ensuite le tour du sommier et de la mécanique. [...].
Pendant ce temps, Pierre entreprend, dans sa chambre à coucher, le montage de la console et la confection de centaines de petites pièces assurant la traction mécanique. Il entreprend encore la réalisation d’un jeu de flûte (4’, en bois) dans les ateliers du Valentin (à Lausanne), ainsi que les finitions (onglets, mortaises, etc) des parties du buffet, en cerisier massif. Tout cela va prendre presque deux ans…
Enfin, au début 1960, c’est le montage de l’orgue dans la petite église, avec l’aide touchante de plusieurs habitants du village, du syndic, du régent, du charpentier et de bien d’autres, réconfortés par les délicieuses tartes de Camille Martin, l’adorable locataire du château voisin…
Voici l’orgue installé. Mais …? Mais il n’émet encore que des bruits discordants, il doit être harmonisé. Il s’agit de donner à chaque tuyau, l’un après l’autre, le son le meilleur, en fonction de sa forme et de sa longueur. Travail long et méticuleux, nécessitant bonne oreille et doigté.
Enfin, c’est le grand jour, celui où tout est prêt, Pierre, le facteur, se retire, laissant Jean, l’organiste, de ses doigts de fée (et de ses pieds !) interpréter pour la première fois à Treytorrens sa fugue préférée (une en sol mineur de J.S. Bach).
Quelques semaines plus tard, le 11 septembre, le village entier et les amis du voisinage seront nombreux à venir applaudir André Luy (ami des deux compères Jean et Pierre) et apprécier les sonorités chatoyantes du nouvel instrument, sans oublier le délicieux buffet campagnard offert aux participants de cette belle journée.
Aujourd’hui, le petit orgue est toujours là. S’il y a moins de cultes qu’autrefois*, il est toujours heureux d’accueillir les organistes de passage.
* Note : depuis la parution de l’article, les cultes ont été malheureusement supprimés à Treytorrens
Article de Madeleine Stanescu paru dans le journal l’Info de Treyto N°3 en décembre 2016.
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